MECHTA

Son : le travail du mixeur

janvier 2005

Interview réalisé par Guy REYNAUD de Florent Lavallée (mixeur) sur le son au cinéma

Interview réalisée à la Femis le 18 juin 1993. C’est il y a une vingtaine d’année mais cela n’a pas trop vieilli.

Trouvé sur le site : http://www.crdp-lyon.cndp.fr/c/c4/c42/c42.html

Guy Reynaud : Qu’est-ce que cette opération technique qu’on appelle le mixage ?

Florent Lavallée : Le mixage, c’est la dernière étape du travail sur le son d’un film. Il y a plusieurs étapes, il faut les définir, parce qu’autrement on ne sait pas de quoi on parle. Il y a d’abord la prise de son sur le tournage : un preneur de son avec un perchman va prendre les sons émis. Ensuite il y a le montage son. Le montage consiste notamment à mettre des sons en plus, c’est à dire des ambiances. Imaginez qu’on soit en studio et qu’on n’ait que le son de la voix des acteurs. On va ajouter des ambiances ville si on est en ville, des ambiance campagne si on est en intérieur campagne. On va rajouter éventuellement de la musique. Tout ça va être sur des bandes différentes et enregistré à des niveaux différents. Le mixage, c’est l’opération qui consiste à rassembler ces bandes sur une seule bande, mélangeant les entrées musique, les sorties musique, les arrivées d’ambiance, les effets...

GR : Les effets ?

FL : Par exemple quand quelqu’un claque une porte dans un décor de studio et que le bruit enregistré en direct ne convient pas. On remplace ce son par un claquement de porte meilleur. Il va donc falloir mélanger ce son nouveau et l’intégrer à l’ensemble de cette bande-son.

GR : Est-ce que le mixage se fait en présence du réalisateur ?

FL : Absolument. Il y a trois intervenants pendant le mixage : le mixeur qui manipule l’ensemble de la console et qui est responsable de la qualité du son, le réalisateur qui est le décideur, le monteur image, et même éventuellement un monteur son si ce n’est pas la même personne que le monteur image.

GR : Le mixeur, à la différence de ces confrères du cinéma, travaille dans des conditions très particulières : il doit faire beaucoup de choses en un temps limité. En plus, il arrive en fin de chaîne.

FL : Effectivement. C’est une position très spéciale. D’abord parce que c’est à la fin du film et que tout le monde est fatigué. Le réalisateur est crevé, n’en peut plus. Il est même parfois sur l’écriture de son prochain film. Il s’est peut-être chamaillé avec son monteur. Ca fait six mois qu’il travaille sur une heure et demie. Souvent quand vous arrivez dans l’auditorium, il y a une situation tendue, avec des gens qui n’ont pas forcément envie d’être là. Ils ont plutôt envie d’avoir fini le film. Le mixeur est là pour calmer le jeu. Il va travailler dans des conditions souvent difficiles en raison du peu de temps dont il dispose. On arrive généralement sur un long métrage en mono avec 90 voire 100 boites pour repartir avec cinq boites mixées. Donc c’est très impressionnant. Mais il y a aussi une chose intéressante : c’est de pouvoir gérer la tension entre le réalisateur et son film, parce que c’est le moment où il va le découvrir. Il va falloir lui faire accepter son film. Il va falloir lui donner envie de travailler encore deux ou trois semaines sur son film au niveau du son et non pas de laisser tout tomber comme c’est arrivé parfois, ou encore de s’en moquer complètement et de faire autre chose. Il va falloir le motiver pour qu’il puisse justement donner son avis et qu’on puisse bien mixer le film.

GR : Est-ce qu’il arrive que le réalisateur, lorsqu’il assiste à cette phase finale soit amené à modifier son montage, à revenir en arrière ?

FL : Ca peut arriver, mais ça engendre une situation extrêmement compliquée. Par exemple, le mixage d’un long métrage en mono dure deux semaines. C’est une opération qui coûte très, très cher parce que la location du studio coûte elle-même très cher. Mais effectivement l’opération de mixage est le seul moment où le réalisateur confronte son image et ses sons dans une salle de projection, le seul moment où il se rend compte vraiment de ce que va donner le son. C’est alors qu’il va pouvoir vérifier si son film va marcher ou pas. Peut-être croyait-il au moment du montage que certains plans étaient bons. Et maintenant il s’aperçoit que ça ne fonctionne pas et qu’il va falloir changer le montage image. Mais ça implique qu’on va repousser la fin du mixage, qu’on va éventuellement couper dans le mixage, qu’il va falloir faire des rectifications. Donc, ça va créer de gros problèmes. Par exemple Arizona Dream a été mixé pendant trois mois et demi parce qu’une fois le mixage fini le réalisateur est revenu sur le montage image. Et une fois les images remontées, il s’est aperçu que, parce qu’il avait tellement coupé, il ne pouvait pas réutiliser l’ancien mixage. Il a donc fallu re-mixer tout le film. Et à la fin de cette nouvelle version du mixage, il y a eu de nouvelles coupes sur le montage image avant d’aboutir au montage définitif. Donc effectivement, une telle intervention est possible, mais il faut avoir un producteur qui suive !

GR : Donc on mixe des voix, des bruits, de la musique. Est-ce qu’il y a un ordre pour le mixage des différentes bandes ?

FL : Il y a plusieurs types de problèmes qui se posent. Il y a d’abord le problème des directs, c’est à dire des sons qui ont été pris au tournage. C’est là qu’on va avoir le plus de problèmes techniques. Une voiture est passée à un certain moment, un projecteur a grésillé, il y a eu bruit de caméra, des acteurs ont trop baissé la voix, trop monté la voix... Dans un premier temps, on va prendre uniquement les bandes du tournage, et on va les mélanger pour faire un pré-mixage de la parole, ce qui est un travail très technique, assez fastidieux parce que ça implique beaucoup de marches arrière de marches avant, sur de toutes petites séquences de cinq secondes. C’est assez difficile à faire et c’est assez difficile aussi pour les autres qui sont là : pour le monteur et surtout pour le réalisateur qui a envie, quand il rentre dans l’auditorium que son film soit rapidement mixé. Tout commence donc par un travail technique assez rébarbatif. Ensuite on va en règle générale essayer de mixer l’ensemble des bandes son. Après avoir fait le pré-mix paroles, on ne peut plus que mixer l’ensemble du film. On ne pourrait pas par exemple faire un pré-mix parole et musique et rajouter les ambiances après, parce que tous ces sons sont solidaires les uns des autres.

GR : Le son direct est devenu quelque chose d’assez rare au cinéma ?

FL : Ce n’est pas complètement juste. Effectivement on postsynchronise, on bruite beaucoup de films. Mais si jamais on a la chance d’avoir un bon direct et qu’il y ait eu un ingénieur du son suffisamment persuasif pour avoir le silence sur le plateau, c’est certainement une excellente chose. Mais il est vrai qu’il y a un environnement sonore de plus en plus bruyant et qu’il devient de plus en plus difficile de faire du son en direct. A 50 km autour de Paris, il y a une rumeur ville énorme. Alors si on doit faire un film supposé se passer en 1900 ou 1850 et qu’on tourne dans une vrai rue parisienne, on va avoir une rumeur ville, des passages d’avion, des passages de voitures, de mobylette, on va donc avoir un gros problème. C’est pour ça qu’il y a de plus en plus de postsynchronisation et de bruitage de film. Mais, je le redis, on ne remplacera jamais une bonne prise de son sur un tournage. L’authenticité d’une prise de son avec les acteurs dans un lieu donné au moment de la grande concentration d’un film est extrêmement difficile à recréer en auditorium. Le travail prend alors des proportions énormes parce qu’il faut remette les acteurs dans de bonnes conditions. C’est souvent six mois après la fin du film. Ils sont complètement déconnectés. Ils travaillent sur d’autres films, sur des pièces de théâtre et finalement ça devient très difficile de retrouver l’émotion juste qu’il y avait au moment du tournage.

GR : Est-ce qu’il existe, est-ce que vous avez rec urs à des banques de son qui vous fournissent à la demande des gazouillis d’oiseaux, des passages de voitures ?

FL : Oui, la recherche de toute une illustration sonore d’un film peut nécessiter le recours à des sonothèques, sauf si vous avez la chance d’avoir un bon ingénieur du son qui va faire tous vos sons comme vous les voulez. Par exemple, si vous avez besoin d’un passage de voiture seul, spécifique, une Cadillac 1950 dans une rue déserte, vous ne remplacerez pas le son original. Si on prend un passage de voiture dans une sonothèque, il sera toujours à peu près bon, mais il ne sera jamais rigoureusement celui qu’on veut. Ca donnera de l’à-peu près, du déjà entendu. Ici, dans cet auditorium, nous avons quatre disques compacts faits par des ingénieurs du son très qualifiés, qui ont de très belles ambiances, entres autres des ambiances difficiles à obtenir : de la pluie, des orages, des vagues, du vent... Mais le problème, c’est que chaque fois qu’on en a besoin on prend ces mêmes sons-là. On utilise quinze fois la même ambiance pluie dans quinze films. C’est là que se situent les limites d’une sonothèque de bonne qualité.

GR : Comment est-ce qu’un mixeur procède pour créer une impression de réel, par exemple quand lorsqu’une personne rentre dans une cabine téléphonique ou s’approche d’une fenêtre ?

FL : Espérons déjà que la prise de son directe a été bonne. L’ingénieur du son a recrée ce changement en mettant plusieurs micros. L’un va être perché à l’extérieur de la cabine. Un autre va être placé à l’intérieur. De sorte qu’à la prise de son, ça va sonner de façon complètement différente. Imaginons qu’on ait un panoramique sur quelqu’un qui marche dehors, ouvre la porte et rentre dans la cabine : on va entendre une grande variation dans la nature du son dès la prise en direct. On ne peut pas parler en termes de niveau sonores plus forts ou plus faibles. C’est plutôt en termes de qualité de son. Ca pourra sonner soit salle de bains, soit intérieur église, soit extérieur campagne. C’est une première chose. Imaginons maintenant qu’on soit en studio, donc sans aucune ambiance extérieure et qu’on ait à recréer un intérieur appartement parisien avec une fenêtre ouverte. Le son pris en direct d’une conversation sera donc extrêmement propre. Mais il n’y aura absolument aucune ambiance. Donc la monteuse son va mettre en place une ambiance "rue parisienne" qui va rendre crédible le décor, et permettre de croire qu’on est à Paris. Dans la réalité, le volume de l’ambiance parisienne ne varierait pas, mais nous, au moment du mixage, nous allons faire varier le volume pour des raisons d’audibilité. Imaginons par exemple qu’on commence par un plan large où personne ne parle : on marquera l’ambiance parisienne assez fortement. Et lorsque le dialogue va commencer, on baissera l’ambiance au profit des voix. Tout ça, c’est complètement artificiel. Mais si on laissait une ambiance forte tout le temps, conformément à la réalité, on serait gêné pour l’écoute des dialogues. C’est un principe assez clair. Vous êtes dans un bar, où il y a énormément de gens, et vous arrivez à comprendre ce que dit quelqu’un qui est à deux mètres de vous ; alors que si vous mettez un micro à cet endroit-là, vous n’allez absolument rien capter de la phrase qui va être dite, même si elle est dite fortement. Pourquoi ? Parce que l’oreille est sélective. Elle peut extraire une information sonore qui l’intéresse d’une ambiance très bruyante. Alors que le micro, lui, ne sait pas faire ça. C’est cette impression-là qu’on essaie de recréer au mixage.

GR : Imaginons une situation où il n’y a pas de problème d’ambiance, mais simplement deux personnes qui dialoguent. Elles sont d’abord cadrées en plan d’ensemble. Et dans le plan qui suit, elles sont cadrées en plan rapproché. Que va faire le mixeur ? Est-ce qu’il va modifier le volume sonore en fonction du resserrement du cadre ? Ou est-ce qu’il va laisser le niveau constant ?

FL : C’est le problème du raccord plan large/plan serré lorsqu’il y a dialogue. C’est une question extrêmement intéressante. Il y a deux types de configuration. Si on a une configuration de prise de son directe, le perchman va tenir son micro au-dessus du cadre. On va donc avoir la prise de son qui correspondra au cadre, c’est-à-dire relativement large ; et le son sera un peu noyé, les voix un peu lointaines. Dans un plan large, c’est normal. Lorsque le plan va se resserrer, le micro se trouvera encore au-dessus du cadre, donc plus près des personnages, et la prise de son sera un peu plus présente. Mais, en règle générale, on est d’accord pour admettre qu’on a besoin de comprendre les dialogues. Imaginons qu’on soit en plan large, et qu’on ait quelque chose d’important à entendre dans le dialogue, la perche risque de ne pas suffire. C’est pour cela qu’on met souvent des H.S. pour toujours avoir une intensité sonore constante. Ce sont des micros émetteurs placés sur les acteurs, et qui ne sont pas reliés par fil, ce qui permet aux acteurs de se déplacer et d’avoir finalement une intensité sonore toujours la même. C’est donc souvent dès la prise de son que le problème du volume sonore est résolu.

GR : Est-ce qu’il vous arrive, en tant que mixeur, de modifier délibérément la signification de certains sons ?

FL : Oui, ça arrive. Ca dépend du travail qui a été fait avant. Si le monteur et le réalisateur ont complètement travaillé le montage son, la structure du film, complètement prévu ce qu’il faudrait faire au mixage, alors je ne suis plus finalement qu’un conformateur de leurs idées, en allant toujours dans leur sens. Je ne suis plus qu’un exécutant. Mais ce cas est extrêmement rare. J’ai des bandes sons. J’ai une situation à mixer. Il va me falloir optimiser le contenu de ces bandes et peut-être, éventuellement, en changer la signification. Bien sûr, je ne vais pas changer le sens d’un dialogue, mais plutôt d’une musique ou d’un hors-champ. Ca, c’est très important. Les horschamps, les "off", les transitions musicales...

GR : On entend parler de procédé "Dolby". De quoi s’agit-il au juste ?

FL : Le procédé "Dolby" est un procédé de spatialisation du son au cinéma. J’ai besoin de faire un tout petit historique. Autrefois, on n’avait une seule source sonore, un seul support, une seule enceinte, donc une seule information. C’était une information "mono" généralement localisée derrière l’écran. Ensuite est arrivée la stéréo. Ca a été du gauche et du droit, le début de la spatialisation du son en musique. Mais, pour qu’on sente bien cette spatialisation, il faut qu’on soit au milieu des deux enceintes. Si on se trouve plus près de l’enceinte gauche, on va entendre ce qui vient de la gauche avec très peu de la droite. Et vice-versa. ça pose un énorme problème en exploitation en salle, parce qu’on pourrait éventuellement accompagner l’image d’une source son gauche et d’une source son droite. Mais ça signifierait que dans une salle de 750 personnes, 25 seraient bien assises pour entendre cette spatialisation du son. C’est pour cela qu’on a inventé le dolby-stéréo qui est un système composé de quatre séries d’enceintes, une à gauche, une au centre, une à droite, plus une série d’enceintes dans la salle qui sont appelées les ambiances ou les "surrounds". Par exemple, ici vous êtes dans un auditorium dolby-stéréo où vous avez cette disposition des enceintes. Cela nous permet de pouvoir résoudre toute une série de problèmes liés à la localisation du son. Il est évident qu’on mettra la voix et tous les sons "in" de l’image sur l’enceinte du centre. Et les enceintes gauche, droite et ambiance serviront à spatialiser tout ce qui est musique, effets, ambiances. Le dolby-stéréo sert beaucoup pour les films d’aventures, les films de science-fiction. Mais on peut se demander à quoi sert un système de spatialisation pour un film intimiste dans un appartement où il y a deux personnes, où tout se passe en huis clos, où il n’y a que des paroles avec deux ou trois bruits de pas sur la moquette. Dans ce cas, on se rend bien compte qu’on a peu besoin de cet artifice supplémentaire qu’est le dolby-stéréo.

GR : Le Dolby-stéréo est le domaine royal du mixeur ?

FL : Certainement. Un long métrage d’une heure et demie, disons classique avec un montage son classique sera mixé en deux semaines. Un long métrage d’une heure et demie en Dolby-stereo sera mixé en quatre, voire six semaines. Normalement on a une quinzaine d’éléments par bobine pour un film mono. Mais on peut arriver à quarante, cinquante, soixante éléments par bobine pour un film en Dolby, parce qu’on a quatre pistes à remplir. On a plein d’informations, on a plein d’effets. Par exemple, on peut avoir des coups de poing, des coups de feu, des explosions, des passages de vaisseau spatial... Effectivement, c’est un domaine royal parce que six semaines en auditorium, c’est énorme.

GR : Le son numérique a été récemment introduit au cinéma. Qu’a t il apporté par rapport à l’analogique ? Est ce qu’il y a derrière toute une révolution esthétique ?

FL : Non, absolument pas. Ce n’est qu’une révolution technologique parce que ça nous permet de faire des choses qu’on ne pouvait pas faire avant : mettre des niveaux très forts en même temps que des niveaux très faibles, ce qui était impossible sur le 16mm optique par exemple. C’était un ancien système qui existe toujours d’ailleurs, mais qui est de très mauvaise qualité. C’est la même différence qu’entre un 78 tours et un CD. Le numérique permet d’avoir une situation d’écoute parfaite. C’est quelque chose d’inusable. On n’a pas de souffle de bande. C’est une grande amélioration de la qualité.


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